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CHAPITRE 1 - DANNY
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I can't explain

Des hurlements stridents. Des applaudissements. Mon prénom scandé. Des martèlements de pieds impatients sur le bitume. Notre nom répété en litanie. Des cris, encore. Tout ce brouhaha, me glaçait les entrailles. Progressivement une boule dans ma gorge se forma m'empêchant de respirer. Mes muscles tétanisés par l'effroi refusaient d'obéir à mes ordres. Je voulais fuir. Fuir loin d'ici. Loin de ce bruit incessant qui me terrorisait, mais ma peur elle-même me l'interdisait. Situation ironique, que d'être incapable d'échapper à sa propre frayeur, n'est-ce pas ? Si j'en avais été capable, j'aurais ri du pathétisme de mon sort, mais j'étais bien trop paralysé, même pour cela. A mourir de rire !

Une main posée avec douceur sur mon épaule me fit sursauter. Ce chaleureux contact me sortit enfin de ma torpeur. Je me détournai de ce qui provoquait ma crainte, pour me plonger dans un regard brun rassurant. Tom. Le nouveau venu me sourit avec gentillesse, laissant apparaître une unique fossette sur sa joue gauche. Il ébouriffa méticuleusement ses cheveux blonds décolorés, manie qu'il le suivait depuis l'adolescence et que la célébrité avait accentué.

- T'as la trouille Danny ?

J'hésitais quelques secondes à lui mentir, peine perdue. Depuis notre rencontre, ce grand blond était devenu à la fois mon model, mon mentor et surtout mon ami. Il avait appris à déchiffrer mes humeurs, et vu la dose de peur qui parcourait mes veines en cet instant, elle devait être inscrite dans mes yeux. Ça aurait été idiot de tenter de lui cacher la vérité.

- C'est un euphémisme...

Oui, c'était un putain d'euphémisme. Je n'avais pas simplement la trouille, j'étais terrorisé. J'en aurais eu la nausée si j'avais réussi à ingurgiter un peu de nourriture. Peut-être même que j'en aurais pleuré, si je ne m'étais pas juré de ne plus jamais verser une larme. A ce stade là ce n'était plus considéré comme de la trouille. C'était pire. Bien pire.

- On est tous stressé Dan'... me chuchota calmement Tom. Ça passera quand tu monteras sur scène.

Ou alors ça empirerait. Jamais le public n'avait été aussi nombreux, pour l'un de nos concerts. Des milliers de personnes s'étaient entassées dans la salle, attendant que leurs idoles fassent un monstrueux spectacle. Et si je n'arrivais pas à répondre à leur espérance ? Et si j'échouais lamentablement et entrainais avec moi le reste du groupe dans ma chute ?

- Tom... J'ai l'impression que je vais complètement faire foirer le concert !
- Je ne vois pas comment ça arriverait, me rassura mon mentor en passant à nouveau ses doigts dans sa chevelure claire. On a répété comme des forcenés. Tu n'as jamais fait une seule erreur pendant un concert ! Tu es un homme de scène, et tout va bien se passer !

Je baissai la tête, manipulant machinalement dans ma poche mon médiator fétiche, que je ne quittais presque jamais. Mon ami avait foi en moi, ce qui me redonna un soupçon d'espoir. Comme d'habitude le groupe ferait une prestation exceptionnelle. Mais la sensation de malaise qui m'assaillait ne disparu pas avec mes craintes. Quelque chose allait se passer ce soir, j'en étais certain.

- Allé Dan' chasse tes idées noires, et revient te préparer avec nous, conseilla Tom. Je suis persuadé que la présence des deux autres imbéciles réussira à effacer tes doutes.

J'acquiesçai, et suivis le blond, non sans avoir jeté un dernier regard sur le conséquent public qui n'attendait plus que notre entrée sur scène. Lorsque je pénétrai à la suite de Tom dans la loge, les deux autres membres du groupe, Dougie, le bassiste et Harry, le batteur, s'empressèrent de me sauter dessus pour me faire tomber. Visiblement, le trac ne nous atteignait pas tous. Ecrasé par leur poids cumulé, ma respiration se fit plus difficile. Je tentai de m'extirper de cette pyramide humaine, sans succès. Le seul moyen était que j'attende leur bon vouloir. Harry profita de mon inactivité pour m'emprisonner les poignets de ses deux mains puissantes, et Dougie lui se contenta de me chatouiller les cotes, bien conscient que je ne résistais jamais bien longtemps avant de rire quand il le faisait. Mais non, ce soir là, je n'avais même pas le cœur à me marrer pour de ridicules chatouilles. Je ne sentais presque pas les doigts du bassiste s'activer sur mon flan. Lassés par mon attitude végétative, mes compères libérèrent leur emprise me permettant de m'échapper et de m'écrouler sur le fauteuil à l'autre bout de la pièce. Ayant perdu leur jouet, ils s'élancèrent dans un duel d'escrime avec les baguettes de batterie d'Harry, en fredonnant la célèbre musique d'un film de pirates.

Mes deux amis ne savaient être sérieux que lorsqu'ils jouaient ou composaient de la musique. Le reste du temps, ils le consacraient à faire des imbécillités auxquelles je participais volontiers en temps normal. Mais ce jour là, je ne les rejoignis pas dans leurs enfantillages. Inquiets, mes deux camarades de jeu habituels stoppèrent leur divertissement et interrogèrent Tom silencieusement en fronçant les sourcils. Il les rassura d'un clignement de paupières et les incita d'un mouvement presque imperceptible de la tête à continuer, en espérant me distraire de la sorte. Mais c'était peine perdue, je ne fus pas contaminé par la joie de vivre de mes deux acolytes. Même quand Dougie, tenta d'imiter un morse en plaçant les baguettes du batteur entre ses gencives et sa lèvre supérieure et en poussant des beuglements à trois centimètres de mon visage, je n'esquissai pas un sourire. Il troublait mes réflexions et pour couper court à ce dérangement, je retirerai sans douceur les baguettes de sa bouche, écorchant presque mon ami. Perplexe, il ne fit aucune remarque sentant bien que s'énerver n'arrangerait pas les choses, mais je vis au fond de ses yeux bleus-gris qu'il était blessé par mon attitude. Pas physiquement. Moralement. Tant pis, il s'en remettrait.

Il haussa les épaules et se détourna de moi pour entamer un nouveau jeu avec Harry, mais notre manager choisit ce moment pour entrer dans la pièce et nous faire l'habituel barbant discourt d'avant concert. Toujours le même. Les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes intonations, les mêmes pauses pour respirer. A l'accoutumé, je prenais un malin plaisir à l'imiter, et à devancer ses paroles, mais il faut croire que le stress me faisait rompre avec toutes mes traditions. Mon mutisme ne fit qu'accentuer l'inquiétude des membres de mon groupe. Je savais exactement ce qui se passait dans la tête de chacun d'entre eux. Tom qui appréciait son rôle de meneur et de grand frère, cherchait une solution pour me détendre. Dougie quand à lui, avide de questions et de réponses, comme un enfant qu'il était presque, essayait de comprendre pourquoi j'agissais ainsi. Et Harry, impulsif et rancunier, devait ruminer contre moi, en jurant qu'il m'énucléerait avec ses baguettes si j'avais le malheur de planter le concert. C'est donc avec appréhension que je les lui rendis avant de sortir de la loge. Je les aurais bien gardés, mais elles lui étaient malheureusement indispensables pour jouer.

Je pris le chemin de la scène en trainant des pieds, avec un air encore plus maussade que quelques instants auparavant. Je sentais dans mes tripes que quelque chose allait mal tourner. J'aurais même parié ma vie là-dessus. Dougie et Harry sur mes talons tentèrent de faire abstraction de mon comportement, et se déplacèrent bras dessus bras dessous en sautillant comme des attardés. Tom, plus posé, suivit calmement le mouvement en se concentrant sur les accords et les paroles de la chanson d'ouverture. Nous entamâmes notre rituel habituel avant de monter sur scène, et nous installâmes dans l'obscurité derrière nos instruments. Je sentis mes mains trembler sur le manche de ma guitare et j'inspirai une grande goulée d'air pour me clamer. Harry commença à frapper ses baguettes l'une contre l'autre pour donner le rythme et le signal de départ. La lumière nous illumina. Le show commençait.

Je me déchainai sur les cordes, comme jamais je ne l'avais fait auparavant, tout mon stress éradiqué par l'adrénaline provoquée par le concert. Tom avait raison, je n'avais eu aucune raison de m'inquiéter comme je l'avais fait. C'était ridicule. Surtout que, je savais qu'à chaque fois que nous jouions tous quatre ensemble, se créait une sorte de lien indescriptible, impossible à palper mais que nous ressentions tous. Il nous transformait en des êtres invincibles, intouchables. Rien ne pouvait nous arriver lorsque nous faisions de la musique ensemble. La connexion était belle est bien présente ce soir là, comme toujours, me rendant ma sérénité habituelle.

Les chansons se succédaient sous les applaudissements et les visages enjoués des fans. Tout était parfait. Peut-être un peu trop parfait. Car tout le monde sait que ce qui brille de mille éclats est voué à s'éteindre un jour. C'est ce qui arriva. Personne n'avait prévu l'évènement déterminant qui fit pâlir la lumière du groupe. Pas même moi, le principal concerné. J'avais prédit un malheur certes mais jamais je n'avais pensé qu'il en serait ainsi. En une fraction de seconde, juste le temps de pauser les yeux sur une chose que jamais plus je n'aurais cru voir, tout était partit en sucette. L'alchimie entre nous quatre s'était brisée à cause de moi. Tous le ressentir, et je vis aux expressions sur leurs visages qu'ils étaient incapables d'en expliquer la raison. J'adoptai moi aussi cet air surpris pour cacher mon mal être et surtout ma responsabilité.

Nous continuâmes à jouer. Laborieusement. Il fallait maintenir l'illusion. Trop tard, dès l'instant où le lien entre nous avait été rompu, le groupe était perdu. Peut-être pas définitivement, mais plus rien ne serait jamais pareil. Et c'était ma faute. J'étais la seule personne à blâmer pour cette mauvaise fortune.

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CHAPITRE 2 - HARRY
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Magic Bus

Tom leva sa canette et nous força à trinquer une énième fois. La bière était toujours le remède à nos emmerdes. Et des emmerdes on en avait.

- à notre fabuleux concert de ce soir, dit Tom d'une voix alcoolisée.
- à notre désastreuse humiliation renchérit Dougie avant de vider sa boisson d'une traite en même temps que le guitariste.

Ils se tournèrent vers moi attendant que je boive moi aussi en l'honneur de notre catastrophique prestation de la soirée.

- à nous, lamentables artistes et musiciens, articulai-je avec difficulté, l'alcool ayant déjà altéré ma faculté de communication.

Mes camarades acquiescèrent en cœur, satisfaits de mon toast et me regardèrent descendre ma bière en quelques secondes.

- Dan', à toi ! hurla Dougie

Mais Danny, ne broncha pas. Depuis que nous étions rentrés dans notre bus de tournée, il s'était réfugié dans sa couchette, et n'avait pas daigné nous adresser la parole. Son comportement m'exaspérait. J'admets volontiers que notre concert avait été le plus médiocre qu'un groupe ait pu faire un jour. Pourtant depuis que la musique existait sur terre, il y en avait eu des concerts, c'est dire l'ampleur de notre fiasco ! On s'était planté en beauté. J'avais l'impression que Danny prenait la responsabilité de toute cette calamiteuse histoire. Bon d'accord, il n'avait pas été dans son assiette avant le concert, mais ce n'était pas ça qui nous avait conduit sur le chemin de l'échec. On avait juste à un moment perdu notre si particulière complicité. Le pire, c'est que je ne savais même pas comment on avait réussi à foirer. Tout était allé parfaitement bien, jusqu'au moment où tout s'était mis à déconner sans raison apparente. J'avais sentit une sorte de tension s'installer sur scène, et c'est à ce moment là que nous sommes partit en cacahuète. Tous. Pas un pour rattraper l'autre.

- ok... Il passe son tour, éructa Tom. A moi alors ! À Dan' et ses trous de mémoire !

Je regardai en levant les sourcils, le blond boire la canette qu'il venait d'ouvrir. D'accord Danny avait été en-dessous de tout au concert. Oui il avait oublié quelques couplets. Oui il avait même tenté de les remplacer avec des phrases sans queue ni tête. Mais ce n'était pas une raison pour l'attaquer directement, surtout qu'il avait l'air bien assez dépité comme ça sans qu'on en rajoute une couche. En plus, Tom était mal placé pour faire des reproches. Il n'avait pas arrangé la situation, en voulant venir en aide à Dan'. Il s'était mis à chanter ses parties, et d'un McFly à deux chanteurs et demi (le demi pour les interventions ponctuelles de Dougie) on est passé à un McFly composé d'un soliste et un choriste. Autant dire que ce n'était plus vraiment McFly, puisque notre identité s'appuyait sur les jeux et les différences de voix entre les deux guitaristes. Une vraie catastrophe ce concert ! Je crois que je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie ! Pourtant j'en ai fait des choses honteuses ! Si j'avais pu, je me serais caché dans ma grosse caisse et balancé à la mer pour qu'on ne me retrouve plus jamais !

La soirée déjà assez horrible comme ça, empirerait si des règlements de compte commençaient. D'habitude c'était moi celui qui se permettait ce genre de remarques. Je n'avais pas ma langue dans ma poche et avais hérité de mon père un caractère bien trempé. Mes amis ne prenaient plus la mouche à mes piques acerbes dictés par la colère, mais Dan vouait un culte à Tom, et je savais que le grand blond venait de le blesser. Cependant, je m'abstins d'intervenir pour ne pas envenimer les choses inutilement.

- c'est à moi ? Demanda joyeusement Dougie, trop allumé surement pour se rentre compte de ce qu'il venait de se passer.
- oui c'est à toi, lui assurai-je en espérant qu'il ne continuerait pas sur la lancé du guitariste.
- à... à... (Il se frotta le menton et regarda le plafond, attitude témoignant chez lui d'une grande concentration. L'alcool avait tendance à fortement diminuer ses aptitudes réflexives) Dis, Tom, je peux te porter un toast ?
- fait-toi plaisir, lui répondit le concerné.

Je serrai les mâchoires et lançai un regard noir au bassiste. Il avait intérêt à ne pas descendre Tom, sinon je l'étriperais de mes propres mains. Même s'il était le plus jeune d'entre nous, et beaucoup plus frêle que moi, je ne me gênerais pas pour le blesser. C'était le manque de cohésion qui nous avait tués pendant le concert. Il fallait que l'on rétablisse notre connexion pour que le désastre de se reproduise plus jamais. Se lancer dans le jeu des quatre vérités n'était à mon sens, pas une bonne idée.

- à ta coiffure, le blond ! La seule chose qui n'est pas foutu le camp ce soir ! dit le benjamin un sourire angélique sur son visage presque poupin et sans défaut.

Je me détendis. Dougie jouait parfois à l'imbécile, mais il n'était pas méchant. J'aurais du le savoir, jamais il n'aurait attaqué volontairement Tom. Mais j'avais trop peur que les choses s'aggravent. Vraiment trop peur de ça. Ces gars étaient ma famille dorénavant et je ne supporterais pas l'idée qu'on puisse être en froid un jour. J'en mourrais, je crois.

- toujours parfaite ma coiffure, plaisanta le guitariste en jouant avec ses mèches de cheveux clairs. Haz' ? Tu veux porter un toast à quelqu'un toi aussi ?
- à nous quatre ça suffira ! On a beau avoir merdé ce soir, ce n'est pas la fin du monde ! On va rebondir les gars, c'était juste un mauvais moment à passer !
- tout à fait d'accord, confirma Tom.
- tout à fait d'accord, répéta Dougie en levant le pouce d'une façon plus que ridicule. A qui maintenant ? On saute encore le tour de Dan, la carpe... à moins que ? (il attendit quelque seconde, une manifestation de notre boudeur) Non pas de réponse ! Tom à toi ! Enfin je crois.
- ouai c'est à moi, mais j'peux pas.
- comment ça tu ne peux pas ? lui demandai-je. C'est toi qui as lancé ce jeu stupide, tu joues c'est tout !
- Mais y'a plus canettes ! (il nous montra ses deux mains vides, comme si le fait qu'il n'y ait rien dedans confirmait que nous étions effectivement en rupture de stock de bière) Comment voulez-vous boire à quelque chose, s'il n'y a plus rien à boire ?

Dougie acquiesça comme un débile, ou plutôt comme une personne qui a trop bu. Il se précipita vers le chauffeur du bus pour lui exposer notre problème et lui demander de s'arrêter à la prochaine aire d'autoroute pour que l'on fasse des emplettes. Il revint ensuite tellement fière de lui que j'eus presque envi de l'applaudir pour le charrier. Au lieu de ça, je le remerciai chaleureusement. Oui, je me devais d'être gentil pour rétablir notre entente, et ça allait être un combat pour moi, spécialiste des conflits et des méchancetés.

Il se rassit sur la banquette et ferma les yeux prêt à somnoler. Le silence s'installa. Un lourd silence. Jamais un tel calme ne régnait en temps normal, ce concert loupé avait fait plus de dégâts dans nos rangs qu'on voulait bien le laisser paraître. Peut-être que c'était simplement l'absence de Danny établissait cette ambiance bizarre entre nous. Je m'approchais donc de Tom pour lui chuchoter d'aller lui parler mais il secoua la tête. Ce refus m'irritait. Danny était pour moi un véritable ami, presque un frère, mais jamais nous n'avions de discussions sérieuses. Notre relation se limitait à des délires pathétiques, des jeux enfantins, et des blagues peu développées. C'était Tom son confident, et d'habitude il ne rechignait jamais à s'occuper de lui quand il allait mal.

- pourquoi ? lui demandai-je à voix basse.
- parce que je lui en veux
- de quoi ? Pour ce soir ? Il n'a rien fait de plus que nous.
- il a plus de responsabilités que tu ne le crois, me répondit-il amer.
- arrête Tom. Tu dis vraiment n'importe quoi ! C'était déjà merdique avant qu'il se trompe dans les paroles !
- je ne te parle pas de ça. Bien que le fait qu'il ait déblatéré des paroles complètement fausses n'arrange pas mon énervement à son égard ! Cet idiot est quand même capable de se gourer dans les paroles qu'il a lui-même écrites. (Il fit une pause avant d'ajouter) Mais ce n'est pas pour cette raison que je refuse de lui parler.
- pourquoi alors ?
- tu as regardé ses yeux ?
- quand ?
- pendant le concert...
- non, je n'ai pas fait attention.

C'était vrai. J'avais pris l'habitude d'éviter son regard. Ça parait peut-être absurde, mais ses yeux m'effrayaient. D'un bleu hypnotisant, presque flippant. Mais c'était surtout ce qu'on pouvait lire dans ses iris qui était troublant. Tellement de sentiments apparaissaient dans ses billes bleues : de la tristesse, de la colère, de la rancune. Et c'était bien trop pour que je puisse le supporter. Je me prenais toute cette souffrance en pleine face, à chaque fois. Comme si je la vivais. Ayant eu une existence plutôt heureuse, je n'avais jamais souffert, et je n'avais donc pas la capacité de faire face à ses blessures. J'avais donc adopté la technique de l'autruche, me mettre la tête dans un trou en croyant que si je ne voyais plus, ce qui me chagrinait n'existait plus. Plutôt imbécile comme comportement, mais j'avais pleinement conscience que même si je n'étais plus témoin des sentiments de Danny, ils étaient encore là, bien présents, le torturant inlassablement.

- quand tout à commencer à dérailler, poursuivit le guitariste, je ne sais pas si tu as sentit, mais j'ai eu l'impression qu'on se déconnectait les un des autres.
- c'est exactement ce que j'ai ressenti, mais je ne vois pas où tu veux en venir Tom.
- on s'est alors tous regardé, cherchant d'où venait l'erreur. Tous sauf Danny.
- non, c'est faux, je me souviens avoir vu son visage à ce moment là.
- après oui... on s'est d'abord regardé en même temps, Doug', toi et moi. Puis Danny s'est retourné avec un temps de retard.
- et ? Ça ne veut rien dire.
- il avait le même visage perplexe que Doug' ou toi, mais il avait dans son regard une lueur de culpabilité.
- t'as trop bu Tom. Ta mémoire te joue des tours.

Il ne me répondit pas, chose qui avait la prodigieuse conséquence de m'irriter fortement. Il le savait. Il en jouait même. Il voulait que je réfléchisse à ses paroles, mais ce n'était pas la peine. Il délirait complètement ! Comment Danny aurait pu saper le fabuleux lien qui nous unissait ? C'était tout bonnement inimaginable. Pourtant quelque chose avait bien déconné quelque part. Je ne savais absolument pas ce que c'était, mais c'était bien trop facile d'accuser Danny sans tenter de nous remettre nous-mêmes en question.

Tom me sourit mesquinement, en voyant que j'étais en pleine réflexion. Savoir qu'il jubilait de me voir analyser ses propos me donna envi d'écraser mon poing sur sa joue où me narguait son unique fossette. Il ouvrit un paquet de chips toujours ses lèvres étirées dans une moue moqueuse. Dougie jusqu'alors impassible se jeta sur lui pour lui dérober le sachet, mais Tom beaucoup moins ivre esquiva facilement son attaque et le renvoya s'asseoir d'un ton autoritaire. Quelque chose me frappa alors. Tom était la personne la plus gentille que je connaissais. Tout le mal qu'il avait dit ce soir, toute cette agressivité n'était que le fruit de son inquiétude pour Danny. C'était son protégé en quelque sorte et il le connaissait mieux que quiconque. Il devait sentir un truc grave, que Doug' et moi étions incapable de percevoir. Et cette idée m'inquiéta. Ça ne sentait pas bon. Pas bon du tout.

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CHAPITRE 3 - DANNY
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I'm free

Les gars étaient dans un état lamentable. Il était rare qu'ils boivent autant, juste quand on avait des emmerdes, et pour cette fois, c'était de ma putain de faute. J'avais merdé. Pas seulement au concert, mais depuis le début. Je n'avais pas imaginé qu'on allait avoir autant de succès. Je voulais juste avoir un groupe, des amis, composer, jouer de la musique. Rien de bien compliqué. Mais je n'avais rien vu venir. La machine s'était lancée sans que j'en ai conscience et on s'était retrouvé propulsé sur les feux de la rampe. Comme ça, sans réel signe annonciateur. C'est à ce moment là que j'aurai dû m'enfuir, je le devais. Vivre dans l'ombre, caché des regards, j'avais tout fait pour ça. Mais le destin en avait décidé autrement. J'aurais pu dès le commencement tout arrêter et retourner à l'obscurité dont j'avais besoin, mais j'avais aimé la lumière. Aimé ces putains de concert. Aimé la célébrité. Aimé pour une fois ne plus me sentir comme un raté, un être sans utilité. Ce plaisir c'était retourné contre moi, le passé avait resurgi et je devais me barrer pour ne plus jamais le recroiser. C'était de ma faute, je m'étais exposé et il m'avait retrouvé sans difficulté. Le con ! Maintenant, il ne me restait qu'une solution, partir.

Allongé dans ma couchette je faisais la liste mentale des choses que je devais prendre dans ma fuite. Quelques fringues. Mon médiator porte bonheur. Ma guitare folk fétiche. Mes papiers et ma carte bleu. Juste ça. Rien de superflu. Réunir ces affaires allait être un jeu d'enfant. Je pouvais faire semblant de remettre de l'ordre dans mon bordel et les gars n'allaient pas s'apercevoir que je constituais mon kit de vagabondage. Non, le plus difficile allait être de leur fausser compagnie. Pour deux raisons. Premièrement, on ne se quittait presque jamais. Il me faudrait donc profiter d'une opportunité brève lorsqu'ils seraient endormis ou sous la douche et surtout que je ne sois pas coincé dans un satané bus en marche. Deuxièmement, ça n'allait pas être aussi évident que je le croyais de les abandonner. Je les aimais ces gars, peut-être même comme je n'avais jamais aimé personne, à part ma sœur surement. Mais j'avais réussi à la laisser derrière moi. Alors aussi inconcevable que me paraissait l'idée de déserter le groupe, et de quitter ceux que je considérais comme mes frères, je savais que j'en étais capable.

La chance fut avec moi. Le bus s'arrêta dans une aire d'autoroute pour que mes amis puissent acheter de l'alcool, bien qu'ils n'en aient vraiment pas besoin. Ils avaient bien assez bu durant les heures précédentes et ça me chagrinait que la cause de leur soudain besoin d'être ivre provienne de mes problèmes. Cependant, je me serais peut-être senti un peu plus coupable si Tom n'avait pas lancé quelques attaques qui m'étaient adressées. J'avais foiré, c'était un fait, mais mon mentor n'avait jamais été aussi glacial avec moi. En temps normal j'aurais été blessé, mais là je me sentais étrangement moins coupable. Juste surpris. Ce n'était pas du tout dans ses habitudes d'être désagréable et de faire des reproches. A croire qu'Harry s'était glissé dans sa peau, pour la soirée. Le concert avait été difficile pour tout le monde, et Tom devait évacuer la pression comme cela, alors je ne pouvais que lui pardonner son comportement. Et puis, une part de moi savait qu'il avait raison, j'avais été en dessous de tout, c'était un fait indéniable. Mais surtout Tom avait compris que c'était moi le responsable de notre débâcle. Il a toujours su lire en moi et en un coup d'œil il a réussi à détecter ma culpabilité. Un vrai livre ouvert... Raison de plus pour fuir. Je ne voulais pas que Tom commence à essayer de découvrir ce que j'avais enfouit au plus profond de moi. C'est un secret que j'avais enterré, et qui ne devais jamais sortir. Jamais.

Les gars mirent un moment avant de désigner qui irait acheter la bière, mais ils finirent tous par y aller pour diverses raisons. Dès qu'ils furent partis, je pris mon sac de voyage dans lequel j'entassais des vêtements sans trop réfléchir à ce que je prenais vraiment. Ma guitare était posée sur une des banquettes, je la rangeai rapidement dans son étuis et regardai autour de moi si je n'avais rien oublié d'important. Mon médiator dans la poche, mes papiers dans mon sac à dos. Tout était ok.

Je fermai les rideaux de ma couchette pour cacher mon absence et faire croire à ma présence le plus longtemps possible. Je me dirigeais vers l'avant du bus, et le chauffeur m'interrogea du regard en voyant mes affaires. Merde, je l'avais oublié lui.

- je vais juste mettre ça dans la soute, je reviens, expliquai-je avec un sourire idiot pour cacher ma sobriété.

Une fois dehors, je fis semblant de ranger mon sac et ma guitare dans la soute, et les laissai un peu plus loin sur une place de parking peu éclairée. Je remontai dans le bus, saluai le chauffeur d'un signe ridicule, et ressortis aussi sec et surtout difficilement par une des fenêtres, en m'écrasant lourdement sur le bitume. Ne sachant trop que faire dans l'instant, je me cachai dans un petit coin sombre attendant une illumination soudaine pour me trouver un moyen de déplacement sans me faire repérer.

Le temps passa lentement. J'avais une vue imprenable sur l'entrée de la superette de l'air de repos et les gars n'étaient toujours pas ressortit. Je me mis à m'inquiéter pour eux. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer là dedans ? Acheter un pack de bière ne nécessitait pas plus de trois minutes, encore moins une demi-heure. C'est que dans les films où un psychopathe se cache sur les airs d'autoroute pour tuer des voyageurs sans défense ?

Trop occupé à fixer la superette, je ne faisais pas attention au monde qui m'entoure et un tacot lancé à vive allure faillit me percuter. Heureusement, je réussis à l'éviter à temps et me réfugier plus loin, sans que le conducteur ait pu voir mon visage. Mais on n'est jamais trop prudent, je fis semblant de me diriger vers le fond du parking comme si ma voiture était garé là bas. L'aire si tranquille à cette heure tardive fut brusquement envahie de voitures roulant aussi dangereusement que celle qui avait tenté de me renverser. Les gens se garèrent n'importe comment et se précipitèrent dans la superette avec des cris hystériques. Perplexe, je regardai ces personnes bizarres hurler des choses incompréhensibles avant d'entendre un « McFly » tonitruant. Et merde, c'était une horde de fans ! Comment nous avaient-ils retrouvés ?

Je vis Dougie, Harry et Tom sortir en trombe et monter dans le bus, une bandes d'hystériques sur leurs talons hurlant leurs prénoms. On avait l'habitude de ce genre de chose. Mais parfois c'était surprenant de voir que des fans nous attendaient dans des lieux improbables. Les gars n'étaient pas d'humeur à répondre aux sollicitations de nos admirateurs, je les comprenais. Ils avaient préféré s'enfuir, et c'était une bénédiction pour moi ! Ils n'avaient surement pas cherché à regarder dans ma couchette et avaient demandé au chauffeur de se tirer le plus vite possible. Parfait. Quelques fans remontèrent dans leur voiture et se mirent à la poursuite du bus de mes amis. Les autres reprirent calmement la route, en direction de leur domicile probablement.

Je fixai le bus jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la nuit. C'était la dernière fois que je les voyais. Une larme perla sur ma joue, suivie de bien d'autres dont je ne pris pas la peine d'effacer les traces sur ma peau. A quoi bon ? Mon cœur serré par la peine les renouvellerait de toute façon.

- Adieux les gars, je ne vous oublierai jamais, chuchotai-je la voix enrouée par mes sanglots.