Mes doigts dansaient seuls sur les touches noires et blanches du piano de la classe de musique. Je jouais cette mélodie avec une aise incroyable. Mes doigts semblaient savoir où aller, ils ne se trompaient jamais. Les notes s'enchaînaient, je recommençais la mélodie encore et encore. J'étais littéralement transportée dans un autre monde, je n'entendais que ma musique qui semblait m'envelopper. Même si j'avais fermé les yeux, je pouvais encore jouer sans me tromper. Les interminables heures de pratiques paraissaient dans mes doigts fins qui couraient d'une touche à l'autre sur le grand clavier du piano. Je recommençais une fois de plus la mélodie, ma mélodie préférée. Je ne m'en lassai pas, j'aimais le fait d'être capable de la jouer au complet sans erreur. Un mince sourire était accroché à mes lèvres et y était depuis que j'avais refermé derrière moi la porte de la classe.

Les mois avaient passés, les heures se sont écoulées. La salle de musique était silencieuse depuis ma dernière visite d'il y a très longtemps. Mes doigts dansaient comme avant sur les touches, mais la mélodie n'était pas aussi belle qu'avant. Les mois avaient passés et je n'avais pas retouché au piano de la classe de musique depuis. Chaque erreur me décourageait et m'incitait de plus en plus à arrêter d'essayer de jouer ma mélodie préférée. Moi qui croyais que le piano était comme la bicyclette « ça ne s'oublie jamais ». Je baissai la tête et laissa tomber mes mains sur mes cuisses, puis enlevai mes pieds de sur les pédales sous le piano. Je regardai les ecchymoses que j'avais un peu partout sur les bras, sur les jambes... Mon dos me faisait encore mal, ma jambe droite aussi. Mon agilité sur le piano s'était dissipée comme ma bonne humeur et mon courage. Je soupirai et entendis les premières notes de la mélodie retentir. Je relevai la tête vers ma gauche où un garçon était assis. Ses doigts boguaient moins vite que moi, mais il ne faisait pas d'erreur.

- Le nom ? chuchota-t-il.
- Neverland, répondis-je sur le même ton. Neverland de Jan Kaczmarek.

Il sourit avant de prendre doucement mes mains et de les placer sur les touches des premières notes. Il fit bouger mes doigts lentement avec les siens pendant la moitié de la mélodie, ma mélodie. Puis, je continué le reste seule. Je faisais quelques erreurs par-ci et par-là, je me décourageais à chaque fois, mais le garçon m'encourageait à continuer malgré les erreurs. « Rien n'est parfait » m'avait-t-il chuchoté pour m'inciter à continuer. Je recommençai à jouer en même que lui. Les sons graves et aigus se mélangeaient ensemble, créant une seconde mélodie tout aussi merveilleuse que la version originale...

L'année avait passée, les notes sur le piano étaient maintenant toutes usées, mais nous pouvions encore jouer. Comme à tous les jours, je jouais encore et encore ma mélodie et j'étais fière : je ne faisais plus d'erreur. Je me laissai, comme avant, transporter par la mélodie, me laissant envelopper par elle. Mes doigts dansaient avec presque la même agilité qu'avant. L'éternel sourire que j'avais toujours sur les lèvres avant réapparu en même temps d'entendre la mélodie dans les notes plus graves. Je tournai légèrement la tête vers la gauche pour découvrir le garçon qui m'avait aidé à retrouver mon agilité et ma bonne humeur. Nous recommencions encore et encore la mélodie sans jamais nous en lasser. Vers la fin, sa main effleura la mienne, puis doucement nos deux mains s'arrêtèrent. Ses doigts s'enlaça aux miens, pis nous arrêtâmes de jouer, mais nous avions encore l'impression d'entendre la mélodie autour de nous, comme si n pianiste invisible continuait de jouer, nous avait remplacés.

Son pouce caressait doucement le dessus de ma main. Son regard cherchait le mien, mais j'avais peur de le croiser. Finalement, il prit doucement mon menton entre ses doigts avec son autre main et releva mon visage vers le sien. Nous restions ainsi pendant une longue minute à nous regarder dans les yeux. Ses bleus dans les miens. Mes émeraudes dans les siens. Sa main qui tenait encore mon menton descendit prendre ma deuxième main libre, il enlaça aussi ses doigts aux miens. Il se pencha vers moi afin de poser délicatement ses lèvres sur les miennes. Ses mains remontèrent sur mes bras, puis mes épales, pour finir leur course sur mes joues. Il se sépara de moi, gêné. Il baissa la tête et se recula doucement. Je m'avançai à mon tour et plaça mes mains sur sa nuque avant de l'embrasser.

Une décennie était maintenant passée. 10 ans, déjà. 10 de passion, d'amour à n'en plus finir. De baisers aussi forts que le tout premier. La même mélodie, jouée avec les notes graves et aiguës en répétitions dans le sous-sol. Les journées passaient lentement, nous avions tous les deux la mélodie en boucle dans la tête. Nous attendions juste la nuit pour aller nous réfugiez dans le sous-sol et jouer encore et encore Neverland. La mélodie, ma mélodie... Notre mélodie.